La réglementation environnementale européenne est en pleine mutation. Adoptée en 2022, la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) visait à renforcer la transparence des engagements ESG (Environnementaux, Sociaux, Gouvernance). Le projet de directive “Omnibus”, rendue publique le 26 février 2025, propose d’alléger les exigences de plusieurs cadres réglementaires européens.
L’objectif est de réduire la charge administrative des entreprises, tout en maintenant un socle d’information pertinent pour les parties prenantes.
- Moins d’entreprises concernées : seules celles de + 1 000 salariés et les PME cotées resteraient soumises à la CSRD – soit 80 % en moins.
- Report des obligations : publication du rapport de durabilité décalée de 2026 à 2028 pour les entreprises non cotées ; PME cotées exclues.
- Simplification du reporting :
- Réduction des exigences de communication, et notamment des points de données qualitatifs, exigées par les normes de reporting de durabilité (ESRS),
- Evaluation des seuls fournisseurs directs dans le cadre du devoir de vigilance (CSDDD),
- Introduction de la possibilité d’omission du rapport sur la taxonomie pour les entreprises dont la part du chiffre d’affaires éligible est inférieure à 10% et
- Promotion du reporting volontaire pour les entreprises de moins de 1000 personnes avec une norme allégée (VSME).
Et si cette simplification était l’occasion de redonner tout son sens au reporting ESG ?
Cette analyse est issue du webinaire « Projet de loi Omnibus : et si c’était une chance pour l’ESG ? », organisé par Labrador le jeudi 6 mars 2025. Alicia Couderc, Directrice générale adjointe de Labrador France, animait les échanges, avec l’expertise de Julia de Queiros, Responsable Transparence chez Labrador, Marc Boissonnet, expert CSRD, et Emmanuel Augustin, Directeur financier du groupe MBWS.
Reporting de durabilité post-Omnibus : qui doit faire quoi, et pour quand ?
Annoncé à Bruxelles le 26 février 2025, le projet de loi Omnibus ambitionne de simplifier et harmoniser plusieurs réglementations européennes.
- La CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), qui impose aux entreprises de rendre des comptes sur leur engagement en matière de durabilité ;
- La CSDDD (Corporate Sustainability Due Diligence Directive), qui impose un devoir de vigilance ;
- La taxonomie verte, qui définit les critères des activités économiques durables ;
- Le MACF (Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières) qui impose de déclarer les émissions de carbones liées à la fabrication de certains produits importés.
Les entreprises concernées par la réforme
Le projet Omnibus ne modifie pas le principe d’application progressive de la CSRD par taille et nature d’entreprise, mais il reporte les obligations pour les vagues 2 et suivantes.
Vague 1 : de la DPEF à la CSRD
Les entreprises déjà tenues de publier une Déclaration de Performance Extra-Financière (DPEF) doivent désormais se conformer à la CSRD et aux normes ESRS (European Sustainability Reporting Standards). La différence principale tient dans l’introduction de l’anayse de double matérialité, à savoir la mesure de l’impact de l’entreprise sur l’environnement et l’impact de l’environnement sur l’entreprise, et dans la conformité du reporting aux normes ESRS.
Critères :
- +1 000 salariés
- 50 M€ de chiffres d’affaires ou 25 M€ de bilan
Obligations : publication du premier rapport de durabilité en 2025 sur la base de l’exercice 2024.
Vagues 2 et 3 : un reporting à construire de 0
Ces sociétés, contrairement à celles de la première vague, n’étaient pas encore tenues de publier un reporting ESG. Certaines ont déjà structuré leur démarche, tandis que d’autres doivent encore élaborer une approche de durabilité complète, de la collecte des données à la définition de politiques internes.
Critères :
- Vague 2 : +500 salariés
- Vague 3 : PME cotées
Obligations : publication du premier rapport de durabilité en 2028 sur la base des données 2027, contre 2026 dans le calendrier initial de la CSRD.
Les entreprises de moins de 1000 salariés ne seront plus obligées de publier leur rapport. Elles pourront cependant le faire de façon volontaire en utilisant les normes ESRS qui vont être révisées ou la norme VSME qui est moins exigeante.
Calendrier de mise en œuvre d’Omnibus
À ce jour, le calendrier réglementaire n’est pas finalisé. Toutefois, selon l’analyse de Marc Boissonnet, voici les grandes étapes qui pourraient structurer la mise en œuvre de la loi Omnibus.
Avant l’été 2025 : adoption du projet de directive
L’approbation du projet de directive sur le report des délais (Stop the clock) a été approuvé en procédure d’urgence le 1er avril. Les États membres devront ensuite la transposer avant le 31 décembre 2025. À cette date, nous saurons quelles entreprises sont concernées, et selon quelles modalités.
Fin 2025 – début 2026 : ajustement des normes ESRS
Après l’adoption définitive du projet de directive sur le contenu du reporting (Content) par les institutions européennes, l’EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group), chargé de l’élaboration des normes de reporting, disposera d’un délai de six mois pour réviser les ESRS. La nouvelle version des normes est attendue au cours du premier trimestre 2026.
Début 2026 : finalisation du standard pour les PME volontaires
Un standard volontaire (VSME), destiné aux entreprises de moins de 1000 salariés a déjà été soumis à consultation auprès des parties prenantes. Sa publication devra intervenir au plus tard quatre mois après l’approbation de la directive Content, ce qui laisse entrevoir une finalisation d’ici fin 2025 ou début 2026.
Rapport de durabilité : premiers retours d’expérience
L’entrée en vigueur de la CSRD en 2025 a donné naissance aux premiers rapports de durabilité. Ils détaillent les impacts ESG des entreprises et les IROs (Impacts, Risques et Opportunités) liés à ces enjeux.
La construction de ce rapport repose sur le principe de double matérialité :
- l’entreprise doit évaluer son impact sur l’environnement et la société, d’une part ;
- elle doit mesurer comment ces enjeux influencent sa situation financière (performance, risques, flux de trésorerie), d’autre part.
Les indicateurs suivis doivent respecter les normes ESRS (European Sustainability Reporting Standards). Le rapport de durabilité est ensuite intégré au rapport de gestion de l’entreprise. Il garantit une information transparente pour les investisseurs, partenaires et parties prenantes.
Que retenir des premiers rapports CSRD ?
L’année 2025 marque la publication des premiers rapports conformes à la CSRD.
En France, au 7 mars, le SBF 120 a publié seulement trois rapports : un échantillon trop limité pour dégager des conclusions.
À l’échelle européenne, une centaine de publications permettent d’identifier quelques tendances.
- Les rapports européens comptent en moyenne 122 pages.
- Les entreprises européennes privilégient des synthèses orientées vers leurs parties prenantes, quand leurs homologues français restent focalisés sur la conformité réglementaire (voir : l’étude SBF 120 : les pionniers qui ont anticipé la CSRD).
Comment le groupe MBWS a abordé la transition CSRD
Emmanuel Augustin, Directeur Administratif et Financier de Marie Brizard Wine & Spirits (MBWS), a piloté conjointement avec le Comité interne CSR du Groupe la mise en place du reporting CSRD au sein du groupe MBWS. Il partage son expérience.
De la DPEF à la CSRD : un changement d’échelle
Déjà soumise à la Déclaration de Performance Extra-Financière (DPEF), MBWS disposait d’une base d’informations relatives aux questions d’environnement, sociales et sociétales. L’application de la CSRD a cependant marqué un tournant.
- Entrée dans le langage courant, la RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) repose sur des principes opérationnels qui parlent aux équipes.
- Les normes et le cadre réglementaire de la CSRD ont été plus difficiles à s’approprier.
« Vous traitez quasiment l’intégralité des départements de l’entreprise. Forcément, il y a plus de complexité, et la nécessité d’embarquer. C’est un vrai projet d’entreprise, qui prend nécessairement un peu plus de temps. » – Emmanuel Augustin, Directeur Administratif et Financier, Marie Brizard Wine & Spirits
La double matérialité, pierre angulaire du rapport de durabilité
L’analyse de double matérialité a été un élément central dans la transition de MBWS vers la CSRD. Plus qu’un simple exercice de conformité, elle a offert un cadre méthodologique pour structurer la réflexion et orienter les décisions stratégiques.
Pour mener à bien cette étape, MBWS s’est entourée d’experts externes.
L’étape suivante, la gap analysis (analyse d’écart), a permis de comparer les pratiques de l’entreprise avec les exigences de la CSRD et des normes ESRS. C’est là que l’entreprise a pu véritablement identifier ses points forts et ses leviers d’amélioration.
« On a constaté qu’il y avait un vrai écart. Cela veut dire que l’on n’est pas plus mauvais ou meilleurs que les autres. On a des grands pas à faire, et on va les faire progressivement. Et là il s’est agi d’embarquer l’ensemble des équipes, parce que c’est transverse. » – Emmanuel Augustin, Directeur Administratif et Financier, Marie Brizard Wine & Spirits
Les normes ESRS ont fourni une méthodologie claire pour construire un reporting solide et pertinent, selon un processus de projet relativement classique :
- Mise en place d’un reporting basé sur les exigences réglementaires ;
- Développement d’un protocole interne pour assurer la fiabilité des données ;
- Déploiement de plans d’action pour combler les écarts identifiés ;
- Consolidation des résultats au sein du rapport de durabilité clair.
En analysant les données pour en tirer une vision stratégique, MBWS a transformé une obligation réglementaire en opportunité de valoriser sa démarche de durabilité.
Construire un reporting de durabilité utile
La mise en œuvre de la CSRD a été critiquée pour ses délais resserrés, rendant son application complexe pour de nombreuses entreprises. Avec le report des échéances, une opportunité se présente : prendre le temps de structurer une démarche adaptée à chaque organisation.
L’objectif est moins de produire un rapport que de poser les bases d’une transition stratégique autour des enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).