L’exigence de transparence des LPs : quels enjeux pour les sociétés de gestion ?

Dans un contexte où la transparence et l’accessibilité des données sont devenues des enjeux cruciaux pour les investisseurs institutionnels (LPs), les sociétés de gestion (GPs) doivent adapter leurs pratiques de reporting financier. L’absence de standardisation, la multiplication des documents et des plateformes, ainsi que la digitalisation encore incomplète, sont autant de défis auxquels doivent faire face les investisseurs.

Nous avons interviewé Estelle Kerenflec’h, Responsable des Investissements Non cotés à la CARAC, acteur mutualiste de référence sur le marché français de l’assurance vie et de l’épargne retraite, et un investisseur institutionnel.Professionnelle aguerrie sur le marché, Estelle nous partage sa vision afin de mieux comprendre les difficultés rencontrées et les améliorations souhaitables pour une relation plus fluide et efficace entre LPs et GPs.

Pouvez-vous nous donner une idée du volume de reportings financiers que vous traitez chaque année et des défis que cela représente ?

Estelle Kerenflec’h : Nous gérons environ 100 fonds en non coté (Private Equity, Infra et Dette privée). Cela représente plus de 1000 documents par an, avec plusieurs documents à traiter chaque jour. En plus de la volumétrie, nous devons naviguer sur 25 portails différents, chacun demandant des identifiants, mots de passe et authentifications multiples. Cette complexité, bien qu’elle renforce la sécurité, alourdit notre charge de travail et impacte notre productivité.

Trouvez-vous que ces reportings sont adaptés à votre analyse ? Quels sont les aspects les plus satisfaisants ?

Estelle Kerenflec’h : Globalement, la majorité des sociétés de gestion respecte les délais de mise à disposition des reportings trimestriels, soit environ 45 jours dans 90 % des cas. Certaines sociétés de gestion se distinguent par leur niveau de réactivité et leur approche orientée “service client”, ce qui est très apprécié, surtout compte-tenu de nos besoins croissants de visibilité et de reporting, allant dans le même sens que l’évolution de la quote-part de la classe d’actif dans l’allocation globale.

À l’inverse, quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez en termes de format, de clarté ou de transmission des données ?

Estelle Kerenflec’h : L’absence de normalisation des reportings complique la lecture et la consolidation des données. Chaque société de gestion adopte ses propres pratiques, ce qui rend les comparaisons difficiles. Un standard de reporting financier serait précieux pour harmoniser l’information et en améliorer la lisibilité.

Par ailleurs, certaines informations sont peu claires, voire ambiguës, notamment dans les notices d’appels de fonds, ce qui peut induire en erreur sur la nature et le sens des flux financiers. Enfin, le mode de transmission des données reste archaïque : nous recevons principalement des documents PDF non interfaçables avec nos systèmes.

Un sondage réalisé auprès de nos GPs montre que seuls 20 à 25 % sont capables de fournir un format intégrable à un ERP, et moins de 20 % prévoient de développer une solution dans ce sens.

Quels changements les sociétés de gestion pourraient-elles mettre en place pour améliorer la qualité et l’accessibilité des reportings financiers ?

Estelle Kerenflec’h : Nous souhaiterions que chaque société de gestion mette en place un capital account détaillé, intégrant toutes les metrics clés pour notre suivi, dont notamment les performances et un récapitulatif des frais cumulés. J’ai d’ailleurs collaboré avec deux GPs pour concevoir un modèle optimal et j’encourage vivement cette initiative.

Certains gestionnaires ont déjà commencé à proposer des formats interopérables avec des ERP et à standardiser les informations dans un modèle structurant. Cette standardisation permet de réduire le risque d’erreur et d’améliorer la lisibilité des données. Il serait intéressant que d’autres acteurs suivent cet exemple.

Par ailleurs, un executive summary en début de reporting serait un plus. Il permettrait une lecture rapide des KPIs essentiels sans avoir à parcourir l’intégralité du document. Des indicateurs clés comme le vintage, la période d’investissement, le nombre d’investissements réalisés, ainsi que des ratios financiers (TRI, TVPI, DPI, % drawdown, loss ratio) devraient y figurer.

Vous avez mentionné un projet de digitalisation pour optimiser votre analyse. Quels sont les objectifs principaux et les bénéfices attendus ?

Estelle Kerenflec’h : Le non-coté est une classe d’actifs très chronophage à traiter pour les LPs, et nos équipes sont souvent sous-dimensionnées face à la charge de travail. Avec l’essor de cette classe d’actifs, nous avons prévu de renforcer nos capacités, notamment en s’équipant d’un système d’information dédié. Ce dernier permettra de supprimer la saisie manuelle, d’améliorer la fiabilité des données et d’automatiser le reporting, tout en donnant accès à une vue transparisée de notre portefeuille. Cela nous changera la vie et dégagera du temps sur l’analyse entre autres.

Ces logiciels permettent aussi d’améliorer les projections et prévisions financières, bien que cet aspect conserve une part de traitement manuel incompressible, nécessitant des échanges réguliers avec nos sociétés de gestion partenaires. Même avec les meilleures solutions technologiques, la qualité de la relation avec les sociétés de gestion demeure essentielle. La réactivité et la précision des données communiquées restent et resteront des critères déterminants pour une collaboration efficace et pérenne au fil des années.