Dans son livre « Repenser son business model : les stratégies des entreprises durables » publié aux Éditions ContentA, Sandrine L’Herminier appelle à une véritable révolution stratégique et managériale. Les entreprises doivent se transformer en profondeur, en faisant preuve d’audace et de constance pour faire bouger les lignes. Elles vont devoir aussi revoir leur narratif. Entretien avec Sandrine L’Herminier, Directrice Conseil en RSE.
Vous publiez le 2 juillet prochain « Repenser son business model : les stratégies des entreprises durables ». Pourquoi ce livre maintenant ?
Un peu partout, il se lit que les entreprises transforment leurs business models sur fond de durabilité. À y regarder de plus près, les fameuses transformations sont à la marge, juste de façade. Il n’y a pas de transformation en profondeur, pas vraiment de création de valeur sur la société.
Les entreprises ne s’interrogent pas suffisamment sur la compatibilité de leurs modèles avec les limites planétaires. Elles devraient pourtant intégrer cette notion de limites dans leur cahier des charges, ce qui va bien au-delà d’une approche RSE / ESG et des postures prudentes qui évitent de remettre en cause l’organisation, sa culture ou ses modes de production.
La RSE s’attaque aux externalités négatives sans remettre en cause les composantes fondamentales des activités et métiers de l’entreprise. « Faire de l’impact » ne consiste pas tant à faire de nouveaux produits ou services « à impact », mais à faire différemment. En transformant le business model pour que les produits ou services donnés soient véritablement porteurs d’impact dans toutes ces dimensions. Exit la RSE en silo. Elle doit faire partie intégrante de la stratégie, des métiers, des parcours collaborateurs, etc.
L’entreprise doit se transformer en profondeur, revoir son logiciel de pensée, ses fondamentaux.
L’enjeu pour les entreprises est de « cracker leur code source », ce qui implique une véritable révolution stratégique et managériale. Car nous sommes aujourd’hui face à de nouvelles formes de rareté que nous devons apprendre à gérer collectivement. L’entreprise est un acteur clé de cette transformation globale aux côtés notamment des pouvoirs publics et des citoyens.
La CSRD arrive à point nommé …
C’est un fait. D’autant que presque toutes les entreprises vont devoir s’y mettre ! La CSRD interroge les stratégies de durabilité, c’est un frein au greenwashing. Toutefois, cette directive demeure plus ciblée, plus orientée sur les risques que sur les solutions que pourraient apporter les entreprises à la société. C’est une norme de transparence, mais pas de comportement. Pour se transformer en profondeur l’entreprise doit aussi changer son logiciel de pensée, revoir ses fondamentaux.
Quelques pistes concrètes pour faire évoluer son business model.
Quelles sont les grandes étapes pour faire évoluer son business model ?
Je les développe dans mon livre mais je peux vous en citer quelques-unes. Chaque entreprise pourrait par exemple revisiter son portefeuille produits à partir de sa raison d’être. Est-ce que je réponds aux besoins essentiels de la société ? Si je ne peux pas réduire les externalités négatives, dois-je conserver cette activité ? Il s’agit au final de réorienter ses investissements, ses programmes de R&D, ses acquisitions et cessions à partir de cette boussole stratégique. La question de l’ajustement et du renoncement se pose alors naturellement, mais aussi celle des opportunités et des relais de croissance.
De manière plus concrète, l’entreprise peut s’interdire le lancement de produits pas ou peu utiles ou dont l’analyse du cycle de vie n’est pas meilleure que la gamme existante.
Renoncement ET nouvelles sources de revenus.
Elle peut également remplacer la croissance en volume par la croissance en valeur et aller ainsi vers un modèle plus sobre et moins émetteur en carbone. Elle peut troquer le « toujours plus » pour le « plus essentiel ». Revoir son business model demande du temps, de l’audace et de la constance pour faire bouger les lignes : inciter ses clients à consommer autrement, vendre différemment (de la réparation, du réemploi, …), tester de nouveaux usages pour aller chercher de nouvelles sources de revenus.
Cela peut se faire tout seul ?
Non. Pour engager la transformation et changer d’échelle l’entreprise ne peut plus agir de manière isolée. Il y a tout un travail collectif à mettre en œuvre. Il faut savoir tirer parti des partenariats publics et privés, interagir avec son écosystème, y compris ses concurrents, raisonner en stratégies de filières et s’engager sur l’écologie industrielle dans les territoires. Il y a des boucles vertueuses à créer autour d’objectifs partagés.
Pour accélérer la transformation et embarquer le plus grand nombre de collaborateurs, l’entreprise pourrait aussi mettre en place des comités de transition. C’est-à-dire identifier en interne les salariés « activistes » qui vont impulser le changement, faire changer les comportements à travers des « comités commandos » dotés d’un vrai budget et assurés d’une véritable liberté de ton.
Comment pousser plus loin le récit de la transformation et aller au-delà du corporate convenu, notamment dans les DEU et rapports intégrés ?
Le constat de départ est simple. Rien n’a vraiment changé dans le discours des entreprises. Toutes les présentations « corporate » sont identiques. Pour le climat par exemple, les entreprises s’appuient sur un discours scientifique et technique souvent alarmiste qui ne fait pas franchement rêver et qui ne crée pas l’adhésion. Pour que la transformation infuse en interne et plus globalement auprès de toutes les parties prenantes, il faut revoir le narratif !
Faire passer de nouveaux messages qui racontent la transition avec de vraies histoires, du concret, qui donnent du sens à la stratégie, qui valorisent son utilité sociétale. Ces nouveaux récits ne doivent plus se focaliser sur le risque, l’anxiété, ils doivent générer du désir et de la confiance. Il faut arrêter de se faire peur et changer notre lexique pour apporter du désir autour de ce futur à inventer et à créer collectivement. Remplacer ce qui pollue par ce qui protège, remplacer le gaspillage par l’efficience, remplacer la notion de performance et de croissance par la notion de prospérité.
Propos recueillis par Beñat Caujolle
Source : Plainly