Opinion | Dirigeants, osez faire clair !

Populariser l’emploi du « langage clair » permettrait de renforcer les liens d’une entreprise avec toutes ses parties prenantes en réduisant les échanges internes. Pour le président et fondateur de Labrador Transparency, Laurent Rouyrès, il faut le généraliser dès maintenant.

Transparence… Le mot est à la mode. Sa mise en oeuvre beaucoup moins. La communication des entreprises a certes fait de grands progrès. Pourtant, les documents, notamment en matière d’information réglementée, ne cessent de prendre de l’embonpoint et l’accès aux données essentielles n’y gagne pas.

Diffuser l’information la plus abordable et précise possible n’est pas seulement une exigence des réglementations. C’est aussi un enjeu fort pour renforcer les liens d’une entreprise avec toutes ses parties prenantes, collaborateurs, actionnaires, partenaires, clients, sous-traitants, banquiers… Pour parler mieux et plus vite à tous, il existe un levier déterminant et simple : le « langage clair ». Apparu il y a une soixantaine d’années aux Etats-Unis, le « plain English » est recommandé par nombre d’acteurs anglo-saxons, à commencer depuis 1998 par la SEC, le régulateur américain, ou Warren Buffet, l’icône des investisseurs.

Pour rendre plus facilement lisibles et compréhensibles toutes sortes de textes, sans en compromettre la précision ni le contenu, le « langage clair » repose sur des critères bien définis, par exemple la longueur des phrases, la traque des adverbes ou le choix des mots.

La culture littéraire à la française est une richesse, mais elle n’est certes pas la mieux adaptée à la communication des entreprises. Pour celle-ci, une phrase bien comprise vaut mieux qu’une phrase bien tournée. Mais qu’on ne s’y trompe pas, efficacité ne veut pas dire simplisme. Le langage clair ne nuit pas à la transmission du message, au contraire. Un sondage de l’institut BVA a notamment montré que le « langage clair » diminue de 25 % le temps de lecture, augmente de 35 % le taux de compréhension, de 85 % l’identification du message principal et de 60 % la mémorisation.

Adopter le langage clair

De nombreuses études ont prouvé qu’une information bien comprise génère davantage de confiance. Celle du Mendoza College of Business (Indiana) a ainsi montré qu’« il existe une relation positive évidente entre l’amélioration de la mesure de lisibilité des informations et l’augmentation des investissements dans l’entreprise ».

Mieux accueilli, générateur de confiance, favorable à la démocratie actionnariale, le langage clair permet aussi de réaliser des économies massives en temps de lecture et en énergie si l’on sait qu’un groupe publie environ un million de mots chaque année, sans compter l’immense flux d’échanges internes. Combien une compagnie d’assurances pourrait-elle s’éviter d’appels entrants de clients ayant mal compris un contrat si elle optait pour le langage clair ? Combien de fake news seraient-elles désamorcées si elles ne pouvaient proliférer sur les zones grises d’informations manquant de clarté ?

Tout va donc dans le même sens : les entreprises doivent faire leur révolution du « langage clair ». Parce que les autorités régulatrices le demandent. Parce que les bienfaits en sont évidents. Parce que, de toute façon, elles n’ont pas d’autre choix pour répondre à deux défis majeurs.

Une IA plus performante

Le défi de l’intelligence artificielle , d’abord, qui va révolutionner le travail en général et la communication des entreprises en particulier. On sait que la pertinence et la fiabilité de l’IA dépendent de la qualité des informations dont elle se nourrit. Or, plus on lui permettra d’acquérir des données rédigées en « langage clair », plus on sécurisera le résultat, évitera les équivoques, les erreurs de hiérarchie, les confusions sur le message essentiel.

Le défi des générations montantes ensuite. Les jeunes ne sont pas moins informés ni même cultivés que les plus anciens. Mais ils n’ont pas la même perception du temps et de l’effort nécessaires à l’acquisition d’une connaissance ou d’un savoir. Pour retenir leur attention, il faut aller vite, très vite et le « langage clair » est donc la meilleure garantie de les toucher.

Des obstacles demeurent certes à la généralisation de cette manière de dire et d’écrire. L’investissement initial pour former les gens et passer au tamis l’ensemble des documents n’est pas négligeable. Les pesanteurs culturelles sont réelles, avec une propension bien française à privilégier le « style » hérité des lettres classiques. C’est pourquoi l’impulsion doit faire l’objet d’une politique générale venant du sommet de l’organisation. Dirigeants d’entreprise, il est grand temps que vous vous lanciez dans la révolution culturelle du « langage clair ». Osez faire simple !

Laurent Rouyrès,
Président fondateur de Labrador Transparency.

Retrouver la tribune en ligne sur Les Echos : https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-dirigeants-osez-faire-clair-2100335