Devoir de vigilance, l’Europe prend son temps

Jeudi 16/12/2021

Le projet de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de droits de l’Homme est désormais attendu pour mars 2022, en pleine présidence française de l’Union européenne. Les premières discussions laissent entendre que la future législation européenne sera plus contraignante que les textes nationaux déjà sortis. Elle devrait par exemple toucher toutes les entreprises ayant des activités commerciales sur le territoire européen.

Entretien avec Charlotte Michon, Consultante droits humains et devoir de vigilance.

La directive européenne sur le devoir de vigilance se fait attendre. Avez-vous une idée du calendrier ?

La future législation européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de droits de l’Homme a été annoncée au printemps 2020. Une proposition a été établie par le Parlement européen et le projet de directive de la Commission Européenne était attendu pour juin 2021. Il avait déjà été repoussé à fin octobre, puis au 8 décembre. Le calendrier politique des Etats est pour le moins chargé, avec d’autres réglementations européennes plus avancées, comme le reporting extra-financier et la taxonomie verte. Il semble aussi qu’il y a des divergences d’approches sur le contenu entre les différents pays, sur fond de lobbying des différents acteurs.

Le Comité d’examen de la règlementation (Regulatory Scrutiny Board) a donné un avis défavorable à l’étude d’impact du texte. Nous attendons désormais une première version du texte pour le mois de mars 2022. Les négociations devant durer quelques 18 mois (une moyenne pour ce genre de texte). Le texte définitif devrait sortir en septembre 2023. Puis, viendront les 2 ans de transposition, qui nous amèneront à la fin 2025.

Certains pays, à commencer par la France, n’ont pas attendu ….

La France est effectivement pionnière dans ce domaine avec l’adoption en mars 2017 de la loi sur le devoir de vigilance. L’Allemagne a elle aussi sa loi, les Pays-Bas ont récemment fait des annonces et la Belgique des propositions. Les pays plus à l’Est sont en revanche moins avancés sur le sujet.

La législation européenne devrait cependant être plus contraignante que les textes nationaux déjà sortis.

C’est ce qui ressort clairement des premières discussions.  C’est le cas par exemple du champ d’application, avec un seuil ramené à 1.000 salariés à travers le monde, voire peut-être même 500, pour les entreprises concernées. La loi française prévoit des seuils d’éligibilité bien plus élevés : 5.000 en France et 10.000 dans le monde. Plus important, la législation européenne touchera toutes les entreprises internationales ayant des activités commerciales sur le territoire européen. Le suivi par une autorité dédiée sera probablement demandé. Celle-ci qui fournira les référentiels, notamment méthodologiques et accompagnera les entreprises. Sur le régime de sanctions, il n’est pas sûr que la directive tranche. Les Etats pourraient avoir une marge d’appréciation pour définir les sanctions appropriées.

Quel est votre regard sur les premiers plans de vigilance publiés ?

Les premiers plans de vigilance ont été publiés dans les rapports de gestion entre la fin 2017 et le début 2018. La loi française a permis de professionnaliser les enjeux des droits humains au cœur des entreprises. Ces dernières s’y sont mises, avec les premières cartographies des risques en la matière. Il y a une mobilisation croissante des différents acteurs dans l’entreprise : de la RSE à la conformité ou encore à la direction juridique. Désormais, de plus en plus d’opérationnels s’emparent du sujet. Plus les acteurs sont impliqués en interne, plus les pratiques des entreprises progressent.

Toutefois, l’absence de précisions réglementaires et de décisions judiciaires se fait pesante. Il y a beaucoup de contentieux et les juges vont devoir se prononcer. D’où l’importance de la venue prochaine de ce cadre européen. En attendant, les parties prenantes demandent de plus en plus de comptes aux entreprises. Le devoir de vigilance en matière de droits de l’Homme n’échappe pas à cette règle.

Le risque de réputation des entreprises épinglées (5 assignations à ce jour) est bien réel.

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Propos recueillis par Beñat Caujolle

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